Vers le
commencement du XVIème siècle, le fief du Plessis, situé sur le territoire de la
paroisse de Saint-Martin-des-Champs, était enclavé entre les fiefs de Blandy, Marniaux
et Ecrignelles (région des Etangs), et ceux de Lalande, des Godards, de lAunoy, des
Morillons, des Poussifs et de la Motte-Levault-lès-Saint-Privé ; il
sétendait sur 91 arpents de terre et les divers chauffoirs du hameau.
Vers 1540, il était déjà divisé entre deux
vieilles et nobles familles représentées par François dAssigny-Escuyer, seigneur
des Mazures, de la Graineterie et la Motte près Bléneau, et par messire Louis
Ducharnier, seigneur du Plessis.
Ce dernier laissa deux filles : Antoinette
Ducharnier, mariée à Jehan de Comptant, seigneur de Tuchau et de lAunoy, paroisse
de Saint-Privé ;
Et Marie Ducharnier, femme de noble homme Jehan
H
, seigneur de Fonteneuil, près de Saint-Maurice-sur-Aveyron.
Jehan de Comptant et la noble damoiselle, sa femme,
vendirent par acte authentique du 15 avril 1572, à François Rivière, fils de Jehan
Rivière et de Perrette Naullet, laboureur, demeurant à Saint-Martin-des-Champs,
"Les cens, rentes, terrage, champart et autres droits seigneuriaux du fief du
Plessis, quils déclarèrent tenir de monseigneur François de Bourbon, dauphin
dAuvergne, marquis de Mézières et comte de Saint-Fargeau, auquel ledit acheteur
devra porter foi et hommage." La vente fut faite moyennant 90 livres, que les
vendeurs ont reçus comptant.
Quelque temps après, le 8 juin 1572, François
dAssigny vendait au même François Rivière sa part dans ledit fief du Plessis,
moyennant 25 livres.
Et en 1574, le 12 août, la dame Marie Ducharnler,
veuve de Jehan de H
, en son nom et au nom de ses enfants mineurs, dont elle avait la
garde noble, vendait dans les mêmes termes, et au même François Rivière, tous les
droits quelle avait sur ledit fief, moyennant 45 livres tournois.
Ce François Rivière, laboureur et marchand à
Saint-Martin, qui achetait pour la modique somme de 190 livres tournois tous les droits et
privilèges dun seigneur, était, par sa mère, membre de cette famille Naullet, qui
possédait déjà une grande partie des héritages du fief en 1572, famille très ancienne
en Puisaye, qui devait faire partie de ces colons venus sous la protection de Chabannes,
et quon voit, dès 1480, recevoir des concessions dans les grands bois de la
Puisaye.
Singulière et haute destinées ! dont ce
laboureur, ce petit marchand ne peut supporter le poids ! Car, huit ans après (en
1580), François Rivière, qui navait pas rempli ses obligations envers son seigneur
et envers ses créanciers, fut poursuivi à la fois par François de Bourbon, duc de
Saint-Fargeau, et Verain Nollet (sic), praticien, sergent royal demeurant à
Saint-Fargeau.
Le fief du Plessis fut saisi féodalement sur
François, Pellerin et Jehan Rivière, avec les héritages qui en dépendaient, et qui
provenaient de Jehan Rivière, le père.
Le fief est ainsi désigné :
"Fief du Plessis, consistant en cens, rentes,
terrage de 12 gerbes lune, portant profit de lods et ventes, droit de retenue en cas
daliénation, amendes, quand le cas y échet."
Ces saisies étaient lobjet de longues
procédures et une raison de volumineuses écritures, tout comme aujourdhui.
On mit brandon ès champs, on fit des publications
répétées aux prônes du curé de Saint-Martin et de Septfonds, suivant les
prescriptions de la coutume ; les enchères furent ouvertes au baillage de Montargis
devant maître Charpentier, conseiller du roi et, le 7 juin 1583, les biens et le fief
furent adjugés à Verain Nollet, que les sergents introduisirent solennellement au
barreau, et à qui le président conféra la tradition du fief et des immeubles
décrétés, en lui remettant une plume, signe de cette tradition.
Il y avait, sans doute, certaines réserves, et
tout nétait pas fini par cet éclatant et solennel procès, car les titres portent
la trace de transactions intervenues depuis entre les héritiers de Jean Rivière et
Verain Nollet, en présence de J.-B. Moyreau, procureur au bailliage de Saint-Fargeau, à
la suite desquelles ce Moyreau, seigneur de la Trémellerie, se trouve nanti du tiers du
fief du Plessis, et Verain Nollet des deux tiers seulement, division qui sest
perpétuée dans tous les actes et reconnaissances, de 1602 à 1786.
Verain Nollet ou Naullet (cest
lorthographe qui a prévalu au XVIIIème siècle) laissa plusieurs enfants, et à sa
mort, vers 1610, le fief du Plessis fut attribué à lun deux, Nicolas
Naullet, tanneur à Saint-Fargeau et marié à Jacqueline Maigon ou Maignan.
Celui-ci ne négligea pas les bénéfices de son
fief, et le 11 juin 1619 il obtint une reconnaissance censuelle de divers tenanciers,
parmi lesquels se trouvait Simon Naullet, son frère, pour les deux tiers de 35 sous et 2
poules de cens et rentes.
De son côté, Jacques Moyreau, nouveau seigneur de
la Trémellerie, obtint, en 1623, comme propriétaire de lautre tiers, une pareille
reconnaissance, et parmi les tenanciers figuraient les enfants de Nicolas Naullet, sous la
tutelle de leur mère.
Cest là une de ces bizarreries si communes
sous le régime féodal ; les droits y étaient ainsi mêlés et superposés, si bien
que les mineurs Naullet étaient à la fois seigneurs et vassaux sur leur misérable fief.
Aussi, dans les partages de famille, lobjet
important était rarement le titre honorifique.On abandonnait aux filles le fief,
cest-à-dire lhonneur, et aux mâles le domaine utile ; et quand les
biens assez importants de Nicolas Naullet échurent à ses quatre enfants, vers 1632,
Edmée Naullet, la seule fille, fut pourvue des deux tiers du fief, quelle apporta
en dot à Jacques Sylvestre (premier du nom), avocat en Parlement et receveur des lods et
ventes pour le duché de Saint-Fargeau.
Ce Jacques Sylvestre, dune vieille et honorable
famille de Puisaye, se borna à exercer modestement les droits de sa seigneurie par la
perception des lods et ventes, et après la mort dEdmée Naullet, le fief fut
dévolu à Jacques Sylvestre, son fils (deuxième du nom) vers 1664.
Ce dernier prévôt et juge ordinaire de Mézilles en
1680, voulut donner un nouveau lustre à cette seigneurie, et fit en 1685 une
reconnaissance hommagée, en convertissant, au désir de la coutume, la mouvance censive
en mouvance féodale.
La qualité du fief, même possédé par un roturier,
conservait encore assez dénergie pour élever ce roturier jusquà lui et lui
imprimer un caractère quasi-nobiliaire, dès quon le rajeunissait par une
reconnaissance hommagée.
Cétait la prétention de Jacques Sylvestre
(deuxième du nom), prévôt de Mézilles, noble homme, qui se présenta en la grande
salle du château de Saint-Fargeau le 13 janvier 1685, "et là, en présence de
Nicolas Messant, procureur fiscal du duché, se mit en état de vassal, tête nue,
desceint, la main droite en celle du procureur de Lauzun, se déclara son homme pour les
deux tiers du fief du Plessis-Naullet, mouvant et relevant en plein fief dudit seigneur à
cause de son château de Saint-Fargeau, et lui fit foy et hommage, tels quil est
tenu de faire et porter à son seigneur, et promit que son profit il pourchasserait, son
dommage éviterait, et ferait tout ce quun vassal doit à son seigneur."
Cette prestation solennelle de foi fut reçue au nom
du duc par Jean Archambault, bailli du duché de Saint-Fargeau, le 13 janvier 1685.
Jacques Sylvestre (deuxième du nom), noble homme, ne
put transmettre à son fils, Nicolas Sylvestre, aucune de ses qualités, car celui-ci
mourut avant son père, et le fief, confondu avec les biens patrimoniaux de la famille,
passa à des héritiers qui le vendirent, le 12 avril 1703, à François Naullet,
bourgeois à Saint-Fargeau, avec tous ses droits de cens, rentes, profits de lods et
ventes, amendes de récélé et droits de retenue, moyennant la somme de 45 livres
tournois.
Le lustre momentané que lui avait donné Jacques
Sylvestre, le titre de noble homme pris dans lacte de foy et hommage, tout semble
avoir disparu devant lindifférence ou le dédain des Pajot dEntrains et des
Pomereau de Gien, ses gendres.
La modicité de ce prix sexplique
dailleurs par la diminution du nombre des tenanciers, puisquà cette époque
les sieurs Naullet étaient presque seuls détenteurs des héritages compris au fief.
Depuis le XVème siècle, en effet, à côté de ces
transmissions successives du titre honorifique, les membres de la famille Naullet,
marchands, bourgeois, hommes déglise, praticiens, avaient, par acquisition ou
échange, concentré entre leurs mains presque tout le domaine utile, et de 1583 à 1703,
jai retrouvé plus de quarante actes dacquisition au nom de cette
famille ;
Onze, par Verain Naullet, sergent, et le premier
auteur de cette fortune territoriale, de 1583 à 1594 ;
Neuf, par Simon Naullet, son fils, et vingt-et-un par
Edme Naullet, son petit-fils, le plus actif et le plus entreprenant de tous, de 1624 à
1703,
Et quand François Naullet, petit-fils dEdme
Naullet eut racheté ce fief de famille, des décès prématurés, des vocations
religieuses réunirent sur le tête de Marie-Anne Naullet, sa sur, et le fief, et
toute la métairie des Naullet.
Celle-ci épousa, en 1724, Edme Leboys des Gays, fils
de Jacques Leboys, notaire à Saint-Fargeau ; le mariage eut lieu avec solennité et
au milieu dun grand concours de parents et de notables de Saint-Fargeau, bailli,
lieutenant du bailliage, doyen du chapitre, etc ; et par suite de ce mariage, le fief
du Plessis-Naullet entra dans la famille Leboys.
Aussi le sieur Leboys des Gays, marchand à
Saint-Fargeau, tuteur de ses enfants après le décès de leur mère, fit dresser de
concert avec le sieur Claude-Etienne Gueriot, co-propriétaire du fief, une reconnaissance
censuelle de tous les droits afférents audit fief, par acte du 15 août 1743, il perçut
les cens et rentes qui étaient dus, les droits de terrage et même les frais des
poursuites exercées contre les religieuses bénédictines de Saint-Fargeau, qui ne
payaient pas.
Ces dames, en effet, étaient censitaires du fief du
Plessis pour certains héritages de leurs domaines de Blandi, et des Duprés, et
débitrices de 35 sus et 2 poules de cens et rentes.
Avec elles, il ne restait plus que trois autres
tenanciers, Marien Bertrand, Martin Bourdon et Loup Chambenoist, tous trois de la paroisse
de Saint-Martin-des-Champs.
Ce fief ainsi réduit passa, après le décès du
sieur Leboys des Gays et de Marie-Anne Naullet, sa femme, à leurs trois enfants ;
parmi eux se trouvait Edme-Jacques Leboys, demeurant à Bléneau, lequel "réclama à
titre daîné, les bâtiments, le vol du chapon et, en outre, la moitié dans les
deux tiers du revenu du fief et des héritages désignés en fief."
Le partage qui fut dressé, le 19 octobre 1762, par
Me Morot, notaire au comté de Saint-Fargeau, consacra ses prétentions, conformes à
larticle 22 de la coutume de Lorris, et légitimés dailleurs par la
reconnaissance hommagée de 1685, et les rêgles des francs fiefs.
Les droits de franc-fief étaient, en effet, un moyen
financier imaginé par lesprit fiscal de nos rois pour autoriser, en faveur des
roturiers, la possession dun héritage noble ou hommagé ; de 20 ans en 20 ans
le roi faisait publier une ordonnance de franc-fief et nouveaux acquets, et soumettait les
possesseurs roturiers à une taxe assez forte.
Edme-Jacques Leboys, qui trouvait que cétait
payer un peu cher le stérile honneur de sa seigneurie, essaya bien de sy
soustraire, mais il finit par lacquitter entre les mains de M. Hérisson, receveur
à Saint-Fargeau, avec doubles et triples droits, et obtint ainsi un renouvellement de
jouissance des deux tiers du fief pour une période de 20 ans.
A sa mort, le fief, qui nétait plus que le
satellite du domaine, échut à la dame Catherine-Elisabeth Leboys, sa fille, et à
Jacques Martinon, marchand demeurant à Gien, qui le conservèrent jusquen 1789.
Durant tout ce temps, et depuis 1602, lautre
tiers du fief du Plessis était toujours resté aux seigneurs de la Trémellerie,
dabord les Moyreau, les peyneau, puis Gueriot et Servandy ; mais en 1780, M.
Navier Ducoudray, intéressé dans les affaires du roi, acheta le manoir de la
Trémellerie, ses dépendances et le tiers du fief.
M. Navier, homme daffaires, actif et
intelligent, voulut tirer de son nouveau domaine tout le parti possible.
Il y eut entre lui et M. Martinon une lutte de
limites et de terrages qui se termina par la cession, au profit de Jacques Martinin, de ce
tiers du fief du Plessis, consistant, comme le dit lacte, "en un tiers de 35
sous et 2 poules de rente, par chacun an, avec droits de lods et veutes, défauts,
amendes, terrages, etc., le tout moyennant la somme de 200 livres tournois."
Cette transaction du 4 novembre 1786 reconstitua en
son entier ce fief divisé depuis deux siècles ; cétait un peu tard, car
cette ombre de fief disparut, comme tant dautres droits dont on a peut-être
exagéré limportance, dans la nuit du 4 août.
M. Martinon fit facilement le sacrifice du titre,
mais il ne voulut pas tout perdre et réclama, en 1791, des dames religieuses
bénédictines de Saint-Fargeau, le paiement de 35 sous et 2 poules. Il se prévalut de
certaines distinctions de la loi des 15-28 mars 1790. Mais on vendit les biens du couvent
des Bénédictines, sans faire plus dattention à la supplique du sieur Martinon que
nen fit la Constituante à la protestation des gentilshommes de la Puisaye.
Celui-ci, alors, se résigna à la simple jouissance
du domaine que la famille des Naullet, dont il était un des descendants, avait cultivé,
aggloméré et constitué par un travail actif et persévérant de 250 années.
En 1811, M. Jacques Martinon et Catherine-Elisabeth
Leboys, sa femme, bourgeois de Gien, vendirent à M. J.-B., propriétaire à
Saint-Fargeau, le domaine des Naullet, composé de 76 hectares de terre et de prés ;
en avait dès lors oublié son titre de fief, dont il restait un monceau de titres et de
plans quon remit à lacquéreur. Cest dans ces parchemins, qui remontent
à 300 ans, que jai suivi les transformations que le fief a subi depuis 1540, et les
mutations dhéritages qui ont fini par constituer à côté du fief le domaine des
Naullets, découronné de ses droits honorifiques et censuels, mais riche de cette belle
et féconde culture qui sest développée, là comme dans toute la Puisaye.
CH. BLANCHÉ |