Constant Paquet - Naufrage du Gallia |
Bizerte, le 11 Octobre 1916. |
Chère amie, Il faut que je te raconte le malheur qui
nous est arrivé, je nai pu te le dire plus tôt, tu naurais pas eu ma lettre
et peut-être que tu ne recevras pas celle-là non plus. Paquet Constant, 59ème territ. Caserne Philebert, 7ème groupe à Bizerte (Tunisie). |
Complément d'information sur le naufrage du Gallia parru dans la presse (document fourni par Monsieur Dominique DELAUNAY) : |
Dans le numéro du 14 courant, nous avons annoncé la perte du croiseur auxiliaire Gallia
au cours de sa traversée de Toulon à Salonique. Nous avons reçu depuis des
renseignements qui nous permettent de donner quelques détails sur ce sinistre et sur les
conditions générales des transports de troupes. |
A propos du torpillage du Gallia |
Le bulletin municipal de Saint-Martin-des-Champs (n°10, mai 2003) a publié une lettre,
à la fois riche par sa documentation et émouvante, sur le drame du torpillage du
croisière auxiliaire Gallia au large de la Sardaigne le 4 octobre 1916. Qui a torpillé le Gallia ? Cest le sous-marin allemand U 35 commandé
par le Kapitän-Leutnant (lieutenant de vaisseau) Lothar von Arnauld de la Périère. Ce
nom bien français en étonnera plus dun, mais il sagit vraisemblablement
dun de ces nombreux descendants de protestants français réfugiés en Prusse après
la révocation de lEdit de Nantes par Louis XIV. (Référence : R.H. Gibson et Maurice Prendergast, Histoire de la guerre sous-marine (1914-1918) (traduit de langlais), Paris, Payot, 1932. Jean-Pierre Rocher |
CROISEUR AUXILIAIRE "GALLIA" (1 Citation à lOrdre de lArmée) Le croiseur auxiliaire "GALLIA", commandé par le Lieutenant de Vaisseau KERBOUL, transportait des troupes à Salonique lorsquil fut torpillé le 4 Octobre 1916. Texte de la Citation à lOrdre de lArmée Le croiseur auxiliaire "GALLIA" : torpillé le 4 Octobre 1916, par un sous-marin ennemi, au large de San-Pietro (Sardaigne), alors quil transportait des troupes. Tous à bord ont donné le plus bel exemple de courage, de sang-froid et de discipline. LE COURTOIS |
Le
3 Octobre 1916, le "GALLIA" a embarqué à Toulon environ 2050 passagers à
destination de Salonique. Il y avait 1650 soldats français, 350 serbes et à peu près 50
marins. Il faisait complètement nuit quand nous sommes sortis des passes et nous avons aussitôt pris lallure de nuit à 75 tours, soit 15 nuds, en suivant les routes prescrites. Je me suis assuré alors que tous les passagers avaient reçu une ceinture de sauvetage. Le lendemain matin à 4 heures, jai pris le quart jusquà 8 heures. Au jour vers 5h45, jai mis les machines à 85 tours, soit 17 nuds et jai commencé à faire des embardées de 50° tous les 1/4 dheure autour de la route moyenne le 5.8.E., ce qui donnait une vitesse de 15 nuds sur le fond. Je nai rien vu pendant ce quart. A 8 heures, le Commandant ma dit : "Pour le passage de San Pietro, vous ferez doubler les quarts, cest un passage dangereux." Je suis descendu de la passerelle et jai été parler au Capitaine (de COUESSIN) qui était le plus ancien Officier de larmée présent à bord et je lui ai indiqué les endroits où il devait faire réunir les troupes en cas dévacuation du bâtiment. Puis je lai prié de donner lordre à ses hommes de sy rendre à titre dexercice. Quand il me fut rendu compte que les hommes étaient réunis, je suis passé partout moi-même, faisant à chaque groupe les recommandations qui me paraissaient les plus indispensables. Jai constaté que la plupart des hommes navaient pas leur ceinture de sauvetage sur eux. Jai alors donné lordre formel à tous davoir sur eux leur ceinture jour et nuit et attachée comme elle doit lêtre. Rien de particulier ne sest passé jusquà 14h15 heures de lappel du "GUICEEN" signalant un sous-marin sur notre route à 15 milles en avant de nous. Jétais à ce moment sur la passerelle et nous étions dans le Sud de San Pietro, dont nous étions passés à 9 m.5 dans lOuest vers 13h45. Le Commandant ma dit alors : "Cest un sous-marin qui vient de lOuest et qui rentre ; nous allons venir à lOuest." Puis à la réflexion, le Commandant a pensé que ce sous-marin devait voir nos cheminées au-dessus de lhorizon, le temps étant remarquablement clair et quainsi il nous voyait venir à droite. Il ma dit alors : "Assurez-vous que nos hommes veillent bien. Il y aura un passage dangereux entre 17h15 et 18h30. Vous monterez sur la passerelle". Je suis alors descendu de la passerelle et jai fait des rondes recommandant aux hommes de veille de faire la plus grande attention. Je me suis assuré plusieurs fois que mes ordres étaient exécutés. A 17h15 je suis monté sur la passerelle. Jai regardé la carte, et autant que je me le rappelle, les routes étaient depuis 14h05 : 14h15 W. 15h15 S.45 W. 16h30 Sud vitesse 17 nuds embardées de 50° tous les 1/4 dheure vitesse sur le fond 15 nuds. A 17h44 exactement, jétais à babord avec le Commandant, et le Chef Mécanicien, quand un homme a crié "Une torpille par tribord". Le Commandant a aussitôt crié avant davoir rien vu "A gauche toute", puis presque aussitôt après, comme nous arrivions à tribord : "Nous sommes fichus". La torpille nétait plus en effet quà quelques mètres de nous. Le Commandant a manuvré les machines et je crois me rappeler quil a mis babord en arrière toute, puis tribord en arrière toute. A ce moment lexplosion sest produite. Elle a été violente, mais javoue que je mattendais à un bruit plus fort et surtout à un ébranlement plus grand du bâtiment. Le Commandant a alors mis le télégraphe des machines sur "Attention", puis a donné lordre dévacuation. La torpille avait touché par le travers de la cale arrière, ce qui a permis un gros dégagement dair par en haut et a empêché les cloisons étanches de céder. Aussitôt jai quitté la passerelle et me suis rendu sur lAR du pont des embarcations, en criant aux hommes qui montaient "Coupez partout les saisines des embarcations et radeaux". Après avoir constaté que mon ordre était exécuté, je me suis rendu dans les logements des troupes du pont B et jai dit aux soldats : "Mettez-vous en rang comme je vous ai placés ce matin". Jai alors admiré le sang-froid de ces hommes qui sans un cri, sans un murmure se sont placés comme je leur disais. Jai ajouté : "Enlevez vos bandes et vos souliers". Puis je suis allé à lAR du pont B. Là jai vu le mécanicien de 2e Classe ACHER qui ma dit : "Toutes les portes étanches sont fermées". Jai répondu : "Mais le bateau étale, il ne prend pas de bande". A ce moment est arrivé le Commandant qui a dit : "Eh ! bien". Monsieur ACHER a alors répondu, je crois : "Les machines se remplissent, la cloison va céder". Jétais étonné de ne pas entendre le crépitement de lantenne de T.S.F. Puis à ce moment jai aperçu nettement à 300 mètres sur lAR un périscope. Jai crié : "Amenez les embarcations" et je me suis précipité à la pièce extrême arrière du Pont C pour faire ouvrir le feu. Puis quand je suis arrivé, javais de leau jusquaux chevilles et ne voyais plus rien. Jai dit : "Jetez-vous à leau" et ai essayé de regagner lAV. Je suis arrivé jusquà la grue tribord AR ; là une cuisine roulante déplacée ma barré la route. Leau gagnait de plus en plus. Jai retiré mon veston en criant à des soldats près de moi : "Larguez tout, à leau", puis jai perdu pied. A ce moment, jai entendu un coup de sirène prolongé et jai compris que cétait ladieu du Commandant. Jai nagé un peu pour me dégager des remous et, à environ 15 mètres, jai vu le "GALLIA" dressé verticalement. A ce moment, je suis moi-même disparu et quand je suis remonté il ny avait plus rien quune mer couverte dembarcations, de radeaux et dépaves. Le "GALLIA" a coulé à 17h57. Jai nagé alors vers un radeau, où jai été recueilli par le canonnier BELLOT. Nous avons encore recueilli quelques naufragés jusquà la nuit. Je savais quaucun signal par T.S.F. navait pas été fait et jai pensé à armer un canot pour me rendre en Sardaigne. Malheureusement la nuit est venue et, malgré mes appels réitérés, aucun canot na voulu maccoster. Plusieurs cependant sont passés à portée de voix, dont quelques-uns très peu chargés, mais dans lobscurité je nai pu distinguer qui les montait. Le temps absolument calme nous a permis de passer la nuit sans trop de peine. Vers 21h jai été appelé par mon nom, jai cru reconnaître la voix du Chef Mécanicien M. OLLIVIER ; jai répondu, mais je nai rien entendu ensuite. Le 5 Octobre à laube, jai vu les embarcations armer leurs avirons et deux groupes se former, lun allant vers le Sud, lautre vers le Nord. Jai regretté quaucune delles ne vienne près de moi. La situation était assez critique, car il ny avait aucune raison pour quon vienne à notre secours. Jai aperçu à environ 1500 mètres de moi un canot qui ne bougeait pas et jai réussi à latteindre. Il avait à bord une soixantaine de soldats. Jai déposé ces hommes sur différents radeaux et jai formé un équipage de 30 hommes sachant bien nager. Jai gardé à bord deux blessés, qui étaient déjà dans le canot et le Lieutenant dInfanterie LIBIS. Il ny avait malheureusement ni voile, ni compas dans le canot. A 11 heures, je me suis mis en route au N.E. me guidant sur le soleil. Javais réparti mes hommes en 3 équipes qui se relayaient toutes les demi-heures. Vers 15h30 jai aperçu un bateau que jai reconnu peu après pour être le " CHATEAURENAULT ". Jai fait des signaux qui, je crois, nont pas été vus. Mais le croiseur faisait route sur le lieu du naufrage et javais la presque certitude quil avait aperçu les radeaux (les naufragés ont été secourus par le " CHATEAURENAULT " et des patrouilleurs). Jai pensé à faire demi-tour, mais je savais quil y avait des canots devant moi et jai considéré comme mon devoir de continuer. Vers 17 heures jai rejoint un canot, conduit par le docteur VARENNE. Ce dernier ma demandé ce quil fallait faire. Il avait à bord une voile et un compas. Nous nous étions éloignés de 14 à 15 milles déjà. Aussi lui ai-je dit de me suivre route au N.E. Il a été convenu que nous échangerions des signaux par Coston 0h et à 3h. Jai continué ma route. La nuit je me suis dirigé sur la Polaire et vers 3 heures jai vu le feu de San Pietro. A 0h et à 3h les signaux convenus furent échangés. Plusieurs fois nous aperçûmes des lueurs de projecteur. Au jour on voyait distinctement la terre et près de nous il y avait le canot n°8, conduit par le Maître de manuvre et le premier-maître mécanicien CASSAULET. Lembarcation du docteur nétait pas en vue. Je suis arrivé facilement à 8 ou 10 milles de terre. Mais là un courant portant au N.W. nous empêchait de gagner et il a fallu mettre deux ou trois hommes sur chaque aviron pour avancer. Nous avons réussi ainsi à dépasser le N.S. du feu de San Pietro, mais un vent frais de N.W. sest levé qui nous a obligé à atterrir sur lîle dAntioco. Pendant ce temps lautre canot avait mâté et réussi à tourner la pointe Sud de San Pietro. A environ 1500 mètres de la terre, une tartane de Carlo Forte nous a pris à la remorque et peu après un vapeur qui avait déjà recueilli le canot 8 venait à notre rencontre et nous débarquions en ville à 19 heures. Je tiens à signaler laccueil particulièrement cordial que nous avons reçu de la part de la population. Mes hommes ont été logés, nourris et vêtus avec les plus grandes attentions. Monsieur le Lieutenant de Vaisseau, Capitaine du Port, et Monsieur lAgent consulaire se sont particulièrement dévoués. Sur ma demande ils ont immédiatement signalé le lieu du naufrage du "GALLIA". Le lendemain à 16h30, l "ALDEBARAN" arrivait sur rade. Les autorités ont mis à ma disposition un vapeur pour rejoindre la "NORMANDIE", qui nous a menés à Bizerte. Je tiens à signaler lentrain et le courage des hommes qui sont allés vers moi à laviron jusquà San Pietro et particulièrement Monsieur le Lieutenant LIBIS, qui nous a aidés autant quil la pu. Jai constaté de nombreux cas de bravoure dabnégation chez les soldats passagers, mais, ne les connaissant pas, il mest impossible de rappeler leurs noms et je serais même malheureusement incapable de les reconnaître. Amiral, je ne puis terminer sans rappeler la conduite sublime de notre Commandant, qui voyant tout perdu, sest suspendu à la sirène et nous a dit adieu dans un long cri dalarme. Signé J. DU MANOIR. Sont cités à lOrdre de lArmée : KERBOUL (E.A.), Lieutenant de Vaisseau Commandant le "GALLIA". A été pour tous lors du torpillage de son bâtiment, un exemple de sang-froid et de courage. Est mort à son poste de commandement sur la passerelle. AUGUSTIN (F.E.), Enseigne de Vaisseau de 1° Classe auxiliaire. De quart au moment du torpillage de son bâtiment a fait preuve du plus grand courage. Après sêtre dévoué au sauvetage du personnel, est remonté sur la passerelle où il est mort héroïquement englouti avec le "GALLIA". DE GODON (H.M.O.), Enseigne de Vaisseau de 1° Classe auxiliaire. A fait preuve de grand calme et de beau courage lors du torpillage de son bâtiment. Sest efforcé jusquau dernier moment de faire fonctionner les appareils de T.S.F. Est mort héroïquement à son poste englouti avec le "GALLIA". LANZONI (Jean), Premier-Maître Mécanicien temporaire, n° 6849 Sest fait particulièrement remarquer par son sang-froid, son courage et son initiative lors du torpillage du "GALLIA". Mort héroïquement englouti avec son bâtiment. RAZOULS (Marcel), Quartier-Maître Mécanicien, 465395. Sest fait particulièrement remarquer par son sang-froid, son courage et son initiative lors du torpillage du "GALLIA". Mort héroïquement englouti avec son bâtiment. DE COUESSIN (Hyacinthe), Capitaine dInfanterie au 113° Régiment dinfanterie territoriale. Passager à bord du "GALLIA". Lors du torpillage du bâtiment sest uniquement préoccupé du salut de ses hommes. Mort héroïquement en se dévouant pour lassurer. OLLIVIER, Mécanicien Principal de 1° Classe auxiliaire. A fait preuve, lors du torpillage du "GALLIA", de courage et dénergie. A assuré avec sang-froid lévacuation des machines et des chaufferies, puis est remonté sur la passerelle se mettre à la disposition du commandant. Na quitté le bâtiment que sur ordre. Après la disparition du "GALLIA" a montré dans lorganisation des secours de belles qualités de commandement. LE COURTOIS DU MANOIR (J.), Officier en second, Enseigne de Vaisseau. A fait preuve, lors du torpillage du "GALLIA" par un sous-marin ennemi, de belles qualités dinitiative et de sang-froid. A assuré lévacuation du personnel jusquà la disparition du bâtiment. FRO LENTOU (Alexandre-Joseph), Matelot sans spécialité du "GALLIA", Fécamp, n° 4211. A fait preuve de courage lors du torpillage du "GALLIA", est resté jusquau dernier moment pour coopérer au sauvetage des passagers. Grièvement blessé, englouti avec le bâtiment, na été sauvé que par une chance inespérée. REVERT (Jules), Matelot sans spécialité du "GALLIA" S.P.M. n° 150. A fait preuve de courage lors du torpillage du "GALLIA". Dans lattente des secours sest jeté trois fois à la mer, au péril de sa vie, pour sauver des camarades. GUDOT (Auguste), Matelot sans spécialité du "GALLIA", 305121. A fait preuve de courage lors du torpillage du "GALLIA". Dans lattente des secours sest jeté plusieurs fois à la mer, au péril de sa vie, pour sauver des camarades. DI MIGLIO (Jean-Joseph), Matelot sans spécialité du "GALLIA", n° 5815. A fait preuve dun sang-froid et dun dévouement absolus lors du torpillage du "GALLIA". Recueilli sur un radeau, une jambe cassée, a fait ladmiration de tous par son courage et son entrain. Décorations de la Légion
dHonneur avec Croix de Guerre M. OLLIVIER (L.P.H.), Mécanicien Principal de 1° Classe auxiliaire. Chef mécanicien du "GALLIA". Sest toujours fait remarquer par son énergie et son autorité sur le personnel dans des circonstances périlleuses. A montré les plus belles qualités de courage et de commandement lors du sauvetage des victimes du torpillage de son bâtiment. |
Texte de la citation à lordre de larmée envoyé par Monsieur Névin |
Site de la commune de Saint Martin des Champs (Yonne) http://www.saintmartin89.free.fr |